Tout feu, tout flamme et toutes couleurs au centre-ville de Montréal. Oui, la ville est sale, ça pue en cibole mais cela ne dérange pas l’homme du peuple, la touriste de passage et les enfants en vacances d’été. C’est la fête, partout avec Montréal Complètement Cirque, une fête algérienne en relation avec leur indépendance (il me semble, c’est ce qu’on m’a dit, en tout cas…), un match de soccer de l’Espagne contre un autre pays et le Festival de Jazz. Tout ceci amène une fébrilité certaine. Les gens sont splendides, heureux, ça boit de la Dieu du Ciel sur la rue et quelques métalleux se rendent aux Foufounes Électriques pour une soirée de death metal.

Oui, je viens de couper le buzz solide avec mes allusions à l’esprit vivifiant de Montréal mais n’ayez crainte, cet arrêt de tournée pour Tomb Mold et Horrendous dans le Quartier des Spectacles n’a rien pour mettre un voile de hantise sur la métropole. Effectivement, malgré des noms horrifiques, c’était un esprit euphorique qui virevoltait aux Foufounes Électriques.

Le fait que ce soit un vendredi, ça aide grandement à ce que la soirée puisse être imprégnée de positivisme mais c’est aussi que l’esprit malin de Tomb Mold et d’Horrendous n’existe que sur les descriptions qui proviennent des biographies fournies par les maisons de disque ou sur les sites web des artistes.

C’était fébrile à Montréal ainsi qu’aux Foufs. L’esprit communautaire était gonflé d’une certaine euphorie, du moins c’est ce que j’ai pu remarquer en me rendant en métro et en marchant. Immédiatement sur place, je me suis dirigé au bar pour commander ma première bière de la soirée, la première de trois car j’ai une règle qui dicte que je prends une bière par groupe et comme ce soir il y a trois formations, je suis en mode frugal.

Comme de raison, je prends parfois des bières sans alcool pour bien balancer le tout.

Attendre le service au comptoir des Foufounes fait partie intégrante de l’expérience. L’évitement visuel est un manège autour du zinc. À tout moment donné, tu te dis : « Aie, le client au boutte du comptoir, il est arrivé bien après moi et elle le sert avant moi! » ou bien « Coudonc, est-ce qu’elle m’a vu? Est-ce que je dois tousser ou atchoumer pour me faire remarquer? » J’imagine qu’ils enseignent cela aux futurs employés, lors du training, en disant : « Même si le client vient d’arriver et qu’il n’y a personne d’autre au bar, fais-le attendre! »

En regardant les robinets de draft, je me rends compte qu’il n’y a pas le pommeau qui indique IPA du Nord-Est, tout comme la dernière fois. Pourtant la Nord-Est est brassée régulièrement, ce n’est plus une bière pratiquement éphémère. Je demande à la demoiselle au service qui me dit que la Nord-Est est toujours disponible. Le pommeau a été abimé, ce qui fait que la poignée indiquant une bière Boréale avec du tartan (probablement la Scotch Ale du Nord) n’est que pour compenser l’absence de la poignée originale. Je ne brette pas plus longtemps en me commandant une pinte de ce divin nectar.

Première gorgée, c’est un délice. J’essuie la mousse qui s’est déposée sur ma moustache, je jase avec Jay Tremblay que je n’ai pas vu depuis l’avant Covid et c’est la mise-à-jour face à nos vies respectives.

Vers 19h55, je me retrouve à l’étage du concert, pinte en main. Il y a de cela quelques mois, nous ne pouvions pas monter avec notre pinte en verre. Nous devions faire un transfert dans un verre de plastique mais maintenant, c’est possible d’accéder à la partie concert avec la pinte de verre. C’est probablement par souci écologique ou de logistique de poubelle.

Dans la salle, quelques dizaines de participants sont présents pendant que les musiciens de Disembodiment, formation de Sherbrooke, s’affèrent à connecter les derniers trucs sur scène, à ajuster cymbales et autres pieds de micro. À voir le tout grouiller ainsi, je comprends que la soirée ne sera pas en mode retard, ce qui me satisfait.

La semaine dernière, je faisais remarquer un fait important face à la découverte de « nouveaux » groupes québécois. Je disais qu’avec la façon de faire d’ajouter des talents locaux sur une soirée métallique par Extensive Enterprise, cela me plait grandement. Il y a une semaine, je découvrais ATER et vendredi soir, c’était ce groupe de Sherbrooke. J’ai farfouiné sur le Bandcamp du groupe car une couple de « Martin » que je connais semblaient friands face à ce groupe, ce qui m’a mis la puce à l’oreille.

Leur death metal se veut gras, oléagineux, donc à mon goût. Juste assez guttural, on sent une approche un peu hardcore (surtout sur la 3e pièce, si je me souviens bien…) par bouts et c’est le genre de truc qui permet, justement, de bien débuter une soirée. Je me suis planté devant le band, juste à la droite de la scène et j’ai pu m’imbiber de leur sauce métallique onctueuse. Groupe en ouverture, la qualité sonore se voulait présente et je sentais la basse me brosser les poils des jarrets (j’étais en shorts, vendredi soir) en plus des percussions qui me shakaient les lobes des oreilles.

Disembodiment ont eu une trentaine de minutes sur scène. Le groupe n’a pas pu jouer sur son équipement, il y a eu une mésentente face à cette information plutôt essentielle mais les membres de Tomb Mold ont accepté de prêter l’équipement nécessaire pour que les musiciens sherbrookois proposent aux amateurs de death metal montréalais une série de chansons qui provenait de leur mini-album Mutated Chaos

En jasant, nous nous demandions si Horrendous en était à leur première présence à Montréal. De mémoire, je n’avais jamais vu le groupe jusqu’à ce que je fasse un brin de recherche pour me rendre compte que j’avais déjà « vu » le groupe lors du Decibel Tour de 2017 avec Obituary, Kreator et Midnight. Je ne devais pas être arrivé alors que le groupe était sur scène, c’est certain. À moins que mon état de boisson se voulait trop élevé, sauf que cet arrêt se voulait un mercredi soir. Donc, impossible! Je n’étais juste pas sur place au moment de leur prestation.

Horrendous s’est retrouvé avec la palme de l’album de l’année 2023 donnée par le magazine Decibel. Personnellement, c’est un album que j’ai apprécié mais je ne le mettais pas aussi haut dans ma liste personnelle. Musicalement, je trouve que cet album qu’est Ontological Mysterium est magistral, c’est plutôt le manque de rocaille dans la livraison vocale qui me turlupine. Vendredi soir, Horrendous est donc tombé dans la catégorie des groupes que j’apprécie sur scène mais aucunement sur album.

Tout comme Trivium ou GrimSkunk (oui, je sais la comparaison est particulière), ce sont des groupes qui en concert, j’en ai toujours pour mon plaisir. Avec Horrendous, c’était le même phénomène. Il faut dire qu’Horrendous arrive sur scène avec l’allégresse d’un jam band, comme une formation comme Phish ou Grateful Dead. Avec leur look de la vieille école, veste de patches old school, ceintures de cuir aux nombreux studs et autres bidules bringuebalants, l’illusion antique est parfaite. Pour cette tournée, le groupe joue leur album célébré qu’est Ontological Mysterium, d’un bout à l’autre.

Et c’était parfait. De mon bord, je me suis clanché cet album pendant la dernière semaine, ce qui fait que c’était frais dans ma tête. Et c’était tight et précis. Malgré le fait que je ne sois pas un fan en mode album, la switch a été mise à ON rapidement et c’est surtout relié au fait que le bassiste Alex Kulick est un véritable boute-en-train. Il ne manque pas une note sur sa basse et il hurle les paroles des chansons dans les airs, tout en gardant un sourire aussi large qu’une porte de garage. Le reste du groupe est actif, ils bougent sur la scène malgré sa petitesse et nous pouvions sentir le transfert d’énergie entre la foule et les musiciens.

Après une quarantaine de minutes, c’était maintenant le temps aux musiciens de laisser place à Tomb Mold. Le tout se faisait assez rapidement, étant donné que tous les groupes partageaient pratiquement le même équipement. Encore sur scène à rouler des fils, les membres de Horrendous semblaient surpris que quelques personnes demandent d’autographier la copie Cd de leur dernier album.

L’effet de frénésie continuait entre les groupes grâce à la liste de lecture qui comportait énormément de titres des années ’80. Tout en jasant avec les Martin, je pouvais fredonner les paroles de Easy Lover de Phil Collins ou de The Power of Love de Huey Lewis and the News. Visite aux toilettes sur Tenderness de General Public pour me retrouver au rez-de-chaussée pour une autre Nord-Est sur le mix régulier des Foufs qui laissait jouer I Saw your Mommy de Suicidal Tendencies.     

Ce qui est bien (ou inacceptable pour les gatekeepers) avec les membres de Tomb Mold, c’est qu’ils sont, visuellement parlant, à l’opposé de leur musique. Sur scène, alors qu’ils installent leurs babioles, tu te rends compte que le bassiste Kevin Sia porte un t-shirt de John Coltrane (acheté au Festival de Jazz?) et que le guitariste Payson Power arbore un t-shirt de Cocteau Twins. En shorts propres H&M ou un bermuda Nike étincelant, nous sommes loin des cargos « camouflage » habituels du domaine death métallique.

Par contre, Derrick Vella, à l’autre guitare, porte un t-shirt X-large (tandis qu’il devrait porter du small) de Eaten Back to Life de Cannibal Corpse très vintage, qui permet de cacher son short… très short! Avec leurs bonnes bouilles sympathiques qui nous rappellent celles des gars qui bossent chez GameStop, les gars prennent le temps de s’installer pendant qu’une chanson de Sting joue dans le système de son des Foufs.        

J’ai encore du temps et je me dis que je vais finalement me rendre à leur table de merch pour faire un achat d’un long sleeve de Tomb Mold qui sont toujours, forts jolis et surtout, crapuleux. Par contre, devant la table, aucun t-shirt ou autre item à porter au niveau du buste. Rien! Que des vinyles, cassettes et des CD. Un brin étrange et surtout, je me disais que ma taille serait sûrement disponible étant donné que Tomb Mold n’en est qu’à la seconde date de cette tournée.

Je retourne me planter devant la scène, vers la droite, pour continuer la jasette avec les « Martin » en attendant que Tomb Mold n’enfile le fil dans le chas de leur aiguille death métallique.

C’est avec Will of Whispers que la formation de Toronto débute. Comme de raison, certains cherchaient des yeux qui pouvait bien offrir cette performance vocale aussi gutturale. Fait plutôt inusité, c’est effectivement le batteur Max Klebanoff qui gueule à tout rompre pour le groupe. Et sa voix, elle porte en cibole! Sans véritable effet, le tout est bien sec et rempli de cailloux dans le fond du gorgotton.

Le quatuor poursuit avec Fate’s Tangled Thread et Accelerative Phenomenae, de l’album Planetary Clairvoyance. Sur celle-ci Derrick Vella se met à exécuter des petits moves de jambes style charleston, il est en feu et sa nouvelle coupe de cheveux, en plus de sa moustache proéminente lui donne des airs d’un membre de la famille Flanders. Sur scène, les musiciens sont analytiques et ponctuels sur le temps, c’est chirurgical et digne, justement, d’un quatuor jazz.

Les chansons Gored Embrace (Confronting Biodegradation) et Final Struggle of Selves sont jouées une après l’autre, saluant au passage l’album Manor of Infinite Forms, production qui a fait connaitre le groupe à de nombreux amateurs de Tomb Mold. Finalement, c’est avec Servants of Possibility et The Enduring Spirit of Calamity que le groupe a terminé sa soirée, laissant les participants actifs en plus des autres témoins oculaires et auditifs, dans une joie indéniable.

« One more song » a été hurlé à environ 7 reprises avant que les musiciens ne reviennent compléter leur sale besogne avec Planetary Clairvoyance (They Grow Inside Part 2), question de nous achever totalement. Ouverture des lumières et retour de la playlist des années ’80, je me suis rendu de nouveau à la table de merch, question de confirmer si les boites de t-shirts n’étaient pas arrivés à destination. Finalement, rien de tout ça et possédant déjà tout l’attirail vinyle de Tomb Mold, je me suis dirigé vers la sortie, direction le métro.

En passant devant le restaurant sport MVP, situé à quelques pas des Foufs, il y avait un attroupement qui regardait la partie de soccer. J’ai entendu hurler, confirmant qu’un but avait été compté par l’une des équipes. J’ai continué mon chemin, sans le long sleeve de Tomb Mold que je désirais tant, laissant la clameur des fans de soccer derrière moi, pour recroiser l’extravagance de Montréal Complétement Cirque, les gens qui se gargarisaient de Dieu du Ciel en canettes et d’autres amateurs de jazz qui se dirigeaient vers le métro, eux aussi, en me disant que cette ville est peut-être sale et négligée, mais elle se veut tellement ravissante lorsque l’emballement de sa population est présent.

Photos : Mon téléphone