Préambule
Bien loin de n’être cantonné qu’à nos régions, le metal est un genre qui s’est répandu à travers tous les continents et que l’on peut aujourd’hui rencontrer à peu près partout, des montagnes des Andes jusqu’aux steppes d’Asie centrale, en passant par les déserts d’Afrique du Nord et les rivages du Pacifique.
Féru de voyages et de rencontres, d’exploration des cultures du monde et de mélanges musicaux en tout genres, le concept de cette petite chronique m’est apparu très naturellement : avec autant de scènes différentes, toutes plus riches les unes que les autres, quoi de plus fascinant que de partir en voyage autour de la terre, à la rencontre de la grande diaspora du metal !
En d’autres mots, je vous propose d’aller ensemble à la découverte de groupes et projets plus ou moins connus, mais cependant toujours profondément ancrés dans le patrimoine, l’histoire et les traditions de leur pays ou région d’origine, que ce soit par les langues et instruments utilisés, l’univers visuel développé ou encore les thématiques abordées.
Afin de rendre nos pérégrinations musicales les plus immersives possibles et d’en dégager des fils rouges, j’ai décidé de les aborder selon une approche historico-géographique qui me fascine depuis tout petit : les grands itinéraires du monde, tout au long desquels nous cheminerons et qui nous permettrons ainsi d’explorer, avec une certaine cohérence, les pépites musicales des pays parcourus.
Mais assez tergiversé : bienvenue dans « Le metal du bout du monde » !
Parcours #1 – La Route de la Soie
Le premier grand parcours thématique que je vous propose d’aborder au cours des prochains mois est un périple légendaire qui nous transportera dans l’Asie du Moyen Age : la mythique Route de la Soie. Mais avant de plonger au cœur de notre pèlerinage musical, un petit préambule contextuel s’impose.
Bien que l’on puisse en dégager assez facilement les grandes étapes et principales contrées traversées, il semble important de préciser qu’il existe en fait de multiples routes de la soie. En effet, ces routes, reliant l’Europe à l’Asie et connectant les grands empires de l’époque, sont constituées d’un ensemble de voies commerciales sur lesquelles voyagent de nombreuses et importantes caravanes.
Démarrant à partir de la ville de chinoise de Xi’an (l’ancienne capitale impériale), aboutissant à Antioche (en Turquie actuelle) et passant en chemin par nombre de riches cités (Boukhara, Alep, Samarcande, Ispahan…), la Route de la Soie doit son nom à l’une des grandes marchandises éponymes qui transitait d’un continent à l’autre : la soie, matière rare et précieuse dont seuls les chinois possédaient le secret de fabrication. Mais elle n’est pas la seule à être convoyée d’un continent à l’autre, ne constituant que l’une des abondantes denrées échangées à terme, avec entres autres des porcelaines, des fourrures, des thés ou encore de multiples sortes d’épices (poivre, gingembre, cannelle, safran…).
Il convient par ailleurs de mentionner que les rencontres et échanges occasionnés tout au long du trajet, ne sont pas que de l’ordre commercial, et que c’est donc grâce à cette fameuse route que des enrichissements mutuels majeurs peuvent se faire entre Occident et Orient, autant au niveau culturel, religieux et technologique que philosophique (papier, poudre à canon, imprimerie, diffusion des diverses croyances et spiritualités…).
Ainsi, cet itinéraire mythique, véritablement en activité de l’Antiquité jusqu’au milieu du Moyen Age et s’étendant à son apogée sur près de 7500 kilomètres, continue aujourd’hui encore de faire rêver et de susciter un intérêt et une certaine fascination auprès du public.
(PS. : il est malheureusement possible que certains pays de la Route de la Soie ne soient pas abordés, tout simplement en raison du manque de groupes et projets locaux correspondant à nos critères de recherche.)
1. Turquie : le début du voyage – Yaşru
Groupe fondé en 2009 à Istanbul, la plus grande ville du pays, Yaşru (à prononcer « Yash-ru » et dont le nom signifie « mystère » en göktürk/vieux turc) constitue notre point de départ musical, aux portes de l’Asie.
Doté d’une discographie relativement fournie, le combo turc nous convie, au travers de son œuvre, à l’écoute du récit épique et historique d’une Turquie pré-islamique, encore profondément pétrie de traditions nomadiques et chamaniques. En effet, il est ici principalement question de la mythologie et de l’histoire des peuplades nomades turques d’Asie centrale, notamment les Göktürk (historiquement parlant, originaires des Monts Altaï et se trouvant être à l’origine du peuple turc actuel). Adepte du chamanisme et du tengrisme, cette confédération de tribus a régné, du 6ème siècle au 8ème siècle, sur un immense empire comprenant la Mongolie et l’Asie centrale, avant de venir s’installer en Anatolie, sur un territoire qui deviendra par la suite la Turquie telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Mais revenons-en à Yaşru: leur premier effort, intitulé Öd Tengri Yasar et daté de 2012, est l’œuvre de Berk Öner, fondateur du projet, chanteur et multi-instrumentiste (en charge notamment des instruments traditionnels). Un album qui est ensuite suivi d’Öz en 2014, de Börübay en 2016, d’Ant Kadehi un an plus tard, en 2017 et d’un single, Maral, en 2019.
Musicalement parlant, Yaşru compte actuellement trois membres, à savoir donc Berk (qui est également le compositeur et parolier principal), Ömer à la basse et Cemil aux fûts. Ce trio distille ce que l’on peut considérer comme du doom/folk metal atmosphérique, teinté d’influences moyenne-orientales et caractérisé entre autres par l’utilisation d’instruments du répertoire traditionnel local, tels que le kaval (une flûte oblique), la dombra (une sorte de luth à manche long d’Asie centrale) ou le kemençe (un instrument à cordes frottées semblable à un violon, particulièrement répandu en Asie mineure).
Profondément ancrés dans l’héritage de leur patrie, ils chantent exclusivement en turc, alternant tantôt growls caverneux, tantôt voix claire et chaude, tantôt chants de gorge distinctifs des peuples nomades d’Asie centrale (ce qui renforce d’ailleurs d’autant plus le sentiment d’authenticité émanant de leur musique, de même que les liens pouvant les relier à d’autres groupes de ces régions, comme nous le verrons plus tard). Les riffs de guitares, quant à eux, et bien que d’apparence relativement simples, sont très solides, mais ne constituent pas à mon sens le principal attrait de leur musique; en effet, ces dernières servent en fait principalement à soutenir et renforcer les mélodies jouées par les instruments ethniques, en leur donnant toute l’amplitude et la puissance nécessaire pour se développer.
À titre de comparaison, le folk metal joué par Yaşru (en particulier dans leurs premiers albums) peut être rapproché du son mongol de groupes extrême-orientaux comme Ego Fall, Tengger Cavalry ou The Hu, avec cependant une vibe légèrement moins agressive. Une dynamique plus mordante et épique, ainsi que les inclusions d’éléments ambients et quasi chamanique, donnent à Kar Prensesi, leur production la plus récente (2021), certaines réminiscences nous rappelant le black folk à l’ukrainienne de Kroda et Nokturnal Mortum. Enfin, par d’autres aspects (notamment l’apport des mélodies orientales et l’emploi d’instruments locaux), pourrait nous être évoqué un certain Orphaned Land, certes ici plus rugueux, mais tout aussi convainquant.
En somme, si vous souhaitez découvrir un pan plus méconnu de l’histoire turque ou tout simplement avoir un autre aperçu du folk metal au travers d’une petite scène locale originale, laissez-vous emporter par les récits de Yaşru ! Un voyage culturel et historique véritablement immersif et original vous attend, au sein d’un environnement musical qui nous est encore relativement inconnu dans nos régions.