Microbrasserie Tête d’Allumette, Saint-André-de-Kamouraska, automne 2017.
Photographie : Simon Rioux
Qu’est-ce que le terroir exactement?
Le « terroir » dans le domaine de l’alimentation, et surtout de la bière, est un mot clé qui est utilisé à toutes les sauces et souvent à mauvais escient.
Voici une définition du concept selon un regroupement d’experts de l’INRA, l’INAO et l’UNESCO :
Un terroir est un espace géographique délimité défini à partir d’une communauté humaine qui construit au cours de son histoire un ensemble de traits culturels distinctifs, de savoirs et de pratiques, fondés sur un système d’interactions entre le milieu naturel et les facteurs humains. Les savoir-faire mis en jeu révèlent une originalité, confèrent une typicité et permettent une reconnaissance pour les produits ou services originaires de cet espace et donc pour les hommes qui y vivent. Les terroirs sont des espaces vivants et innovants qui ne peuvent être assimilés à la seule tradition.1
Dans le monde du vin, c’est assez simple : on choisit un ou des cépages et ceux-ci expriment dans le breuvage final le territoire auquel ils appartiennent. On pourra alors distinguer les différences gustatives d’une cuvée à l’autre qui sont influencées selon les conditions dans lesquelles le raisin a été cultivé (température, humidité, sol, minéraux…) qui varient d’une sous-région à une autre et d’une année à la suivante.
La bière de l’autre côté peut se targuer d’être un breuvage assez complexe en termes d’ingrédients, étant produit à partir de quatre éléments principaux : la levure, l’eau, la céréale maltée et le houblon… Les possibilités sont infinies avec ce breuvage, c’est l’une des beautés de la chose. Il devient par contre difficile de considérer une grande majorité de bières comme étant des produits du terroir, surtout lorsqu’on sait que plusieurs microbrasseries ne produisent pas elles-mêmes leurs ingrédients et s’approvisionnent un peu partout dans la province, à l’extérieur de la province ou même à l’extérieur du pays. On est loin d’atteindre une typicité accordée par le territoire d’une sous-région lorsqu’on assemble des ingrédients de provenances diverses.
Le terroir est encore une notion naissante dans l’univers de la bière, bien que certaines traditions brassicoles existent depuis des siècles dans certains pays. Il s’agit aussi d’un concept relativement jeune au Québec, dans le domaine des produits alimentaires en général.
Quelques initiatives de création de bières issues du terroir québécois :
Des bières 100% Québec : Certaines bières sont produites uniquement avec des ingrédients québécois. C’est une initiative remarquable puisqu’on est vraiment dans une dynamique d’encouragement du local, autant des ressources locales et des producteurs locaux. Certaines herbes, fleurs, épices, etc. indigènes sont même parfois ajoutées aux brassins. Il est par contre souvent difficile de considérer ces bières comme étant des produits du terroir à part entière puisque leurs ingrédients peuvent provenir des quatre coins du Québec. Le Québec, c’est grand! Une bière du terroir produite en Haute-Gaspésie devrait être différente de celle qui est brassée au sud de l’Estrie. Or, les brasseries fictives dans cet exemple ont toutes deux accès aux mêmes ingrédients provenant des mêmes producteurs si elles le désirent. On peut tout de même se rapprocher d’une certaine forme de valorisation du terroir lorsque la microbrasserie fait exprès de s’approvisionner chez des producteurs situés les plus près possibles de la brasserie et que le goût final de la bière est dominé par ces mêmes ingrédients produits localement.
L’Anneddale : Il s’agit d’un style purement québécois initié au tournant des années 2010. On utilise des céréales québécoises, des houblons québécois, de l’eau québécoise bien sûr, la levure Jean Talon isolée au Québec, le tout aromatisé au sapin baumier. On pourrait parler de création d’une tradition brassicole québécoise, mais à moins que les ingrédients proviennent tous d’une région rapprochée de la brasserie et confèrent au breuvage un caractère unique liée à ce territoire, il serait difficile encore une fois de parler de terroir, au sens précis du terme. Malheureusement, l’Anneddale est un style qui n’est plus beaucoup brassé aujourd’hui, par manque d’intérêt de la part des consommateurs et des brasseurs.
La ferme brassicole : Lorsqu’une microbrasserie produit ses propres céréales et ses propres houblons, elle s’impose beaucoup plus de travail oui, mais peut aussi avec ses bières se rapprocher beaucoup plus d’une expression de son territoire immédiat. C’est un modèle qui est toujours très marginal au Québec, mais qui gagne en popularité ces dernières années.
La fermentation spontanée : Ce processus qui consiste à inoculer le moût de la bière avec des levures sauvages et autres micro-organismes ambiants peut également se rapprocher d’une expression du terroir. Des observations en laboratoire pourraient être nécessaires, mais il y a fort à parier que la flore sauvage de chez Pit Caribou à Percé n’est pas exactement identique à celle qui est retrouvée chez À la Fût à St-Tite. C’est de plus souvent ce caractère sauvage qui est dominant et qui s’exprime dans toute sa complexité chez ce type de breuvage, ce qu’on pourrait appeler la typicité. Encore une fois, c’est un modèle très peu retrouvé au Québec présentement, la fermentation spontanée n’étant légale au Québec que depuis 2017 et nécessitant beaucoup plus de temps de maturation qu’une bière régulière.
La dégustation
Lager de seigle – Lager pâle – 4,5% – La Ferme Brasserie Rurale (Shefford)
La Ferme Brasserie Rurale est une ferme brassicole qui cultive elle-même ses céréales et ses houblons. Cette bière est une belle Lager fermière comme je les aime : facile à boire, avec une texture moelleuse, mais qui possède à la fois un certain caractère. La céréale (le seigle) se fait dans celle-ci bien rustique et épicée. Une légère amertume se pointe le bout du nez en finale, nous incitant toujours à reprendre une autre gorgée.
L’Avouène du Gøsførd – Saison fermière – 6% – La Grange Pardue (Ham-Nord)
La Grange Pardue est également une ferme brassicole qui utilise ses propres houblons et céréales. J’aime beaucoup leur Avouène du Gøsførd, une Farmhouse céréalière, poivrée et rustique, mais toujours élégante. Son nez bien aromatique (notes de prunes jaunes, de citrons ou de poires) est particulièrement agréable.
Gose Vie Sale édition laurentienne – Gose – 4% – La Souche (Québec)
Cette édition presque 100% québécoise (à l’exception de la levure qui a été isolée sur la côte ouest américaine) met en valeur des pousses d’épinette, des pousses de sapin et du thé du Labrador. Ses saveurs légèrement citronnées, acidulées et salines en font un breuvage des plus désaltérants. L’accord parfait : une randonnée et l’air pur de nos forêts.
Pour plus de suggestions de bières à essayer, rendez vous sur L’amateurdebière.com!
Références :
1 : Brunschwig, G., Capitaine, M., 2014, « Le terroir, un concept pour l’action dans le développement des territoires », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, 14, 1. Consulté sur Internet (http://vertigo.revues.org/14807), octobre 2021.