Chaussez vos bottes et votre perf’ en cuir, et allons donc nous balader sur le chemin de halage de la Loire ! Le groupe breton (dont le nom signifie à la fois « minuit » et « nord » en breton) nous invite à une balade glauque le long du fleuve, à travers son black metal païen aux influences médiévales. Le visuel principal de l’album illustre à merveille le contenu sonore qui nous attend : sombre, naturel, l’humain n’y ayant que peu de place, si ce n’est par les quelques traces d’une éphémère vie qu’il y a menée. David Thiérré nous présente un paysage lacustre, dans lequel les détails ne manquent pas, et, avec les autres artistes ayant participé à l’aspect visuel (Joanna Mayens…), nous propose à la fois une grille de lecture des différentes compositions et une porte ouverte vers l’univers lacustre, au cœur des légendes du fleuve, d’un autre temps.
En gestation depuis 2009, ce troisième album d’Hanternoz succède à Linceuls d’écume, paru de 2010. Le groupe n’a pas chômé pour autant pendant ces années : projets musicaux divers, deux splits-albums concepts, une compilation. Au fleuve de Loire était attendu, surtout depuis l’apparition scénique du groupe en septembre 2018 lors d’un petit festival privé au bout de la Bretagne.
L’ambiance générale fait bien ressortir l’humidité froide et crasse de certains méandres du fleuve, et le duo Hyvermor / Sparda (que l’on retrouve dans d’autres excellents projets, dont Véhémence pour le premier et Dorminn pour le second) se complète d’Isarnos à la batterie (Anus Mundi, Oxxo, Xoox…), Stefan Traunmüller à la guitare (Rauhnacht…), et d’invités sur plusieurs titres, donnant du relief aux vocaux, proposant une variété de sonorités illustrant les possibles caprices d’un puissant cours d’eau. Puisque le thème central, cette Loire, apparaît directement ou en fond de chaque morceau : rythmes divers des flots filant vers la mer océane, variation de paysages sonores, faune & flore du fleuve…. Seuls, l’album nous l’apprendra, quelques bateliers subsistent dans cet environnement (Bateliers de Loire).
Les artistes ont mis beaucoup d’eux-mêmes dans ces compositions, qui illustrent leur rapport à cette région aux portes de la Bretagne et de l’Anjou, où contes et légendes se confondent à la réalité. Ce n’est donc pas seulement de la Loire qu’il s’agit, mais d’eux. Le fleuve et les êtres qui le peuplent ne sont qu’une illustration de ce que les artistes ont en esprit : leurs doutes, peurs, réussites, regard sur l’humain, liens avec cette nature et ses habitants…. De leurs âmes qui seront un jour charriées par le fleuve, passage vers un autre monde.
Le seul regret réside dans la différence de qualité des textes : certains sont directs, sans détour ni artifice, mais semblent alors moins recherchés, moins travaillés que d’autres, montrant probablement les différentes phases d’élaboration de l’album et les différentes émotions qui animèrent le processus créatif.
À cul de grève, véritable hymne au refrain que l’on se prend à scander avec le groupe, nous traîne dans la puissance du fleuve, et nous ne pouvons nous échapper des remous : riffs puissants, variations de rythmes, ce morceau à tout pour devenir un incontournable du BM païen/médiéval. C’est ainsi que nous nous retrouvons au milieu de Ce que le fleuve a pris, morceau sur lequel pointe des influences guitaristiques plus heavy, mais au grandiose final laissant augurer quelques tourments dans cette après-vie que les eaux proposent. Hanterdro Languidic lui succède dans une logique musicale et thématique. Quelques paroles en breton, d’autres en français, en l’honneur de l’homme noir/l’Ankou, celui qui vient chercher les âmes des défunts. Si Languidic n’est pas au bord de la Loire, ce morceau nous entraîne dans une danse traditionnelle avec la Mort elle-même, présente dans les recoins sombres du fleuve. Ce morceau impose Hanternoz comme l’un des groupes à proposer un bon équilibre entre sonorités et rythmiques traditionnelles, celtiques et médiévales, et sonorités metal et black-metal.
Mais au fond du fleuve, il n’y a pas que des âmes maudites, il y a tout ce que l’humain a pu y jeter comme déchets. Vieille nasse crevée est un inattendu témoignage des infâmes trouvailles d’un poisson habitant quelque trou des bas-fonds du fleuve : déchets divers, pollution… laissent un sentiment de dégoût et de saleté, accentué par cette mélodie électronique qui laisse rapidement la place à un black metal qui ne renie pas ses origines païennes. Fleuve mental où traînent les souvenirs des artistes… Puis nous retrouvons la surface, les humains, à travers ce portrait des Bateliers de Loire, forçats du fleuve, et de ces rois qui qui y construisirent de magnifiques demeures (Le roi René a fait mander). S’y affirment instruments médiévaux et tradition de ces métiers du fleuve, et l’on souffre avec les bateliers au long des saisons, vies racontées par ces voix torturées, avant de retrouver un roi, ses chevaliers et ses dames, sa grandeur visible dans l’architecture de ses châteaux. Mais derrière ce beau décor, la Loire est là, avec ses flots sombres et tumultueux, soutenus par ces riffs old school, presque punk. Dans cette composition, les musiciens montrent encore qu’ils sont à l’aise avec différentes thématiques mais aussi avec le mariage de différents styles musicaux, pour le plus grand bonheur de nos esgourdes.
Nous n’avons pas atteint l’embouchure du fleuve. Nous sommes toujours au bord de celui-ci et nous y resterons. Notre âme y est en effet prisonnière, attachée à la mélancolie qui apparaît avec les souvenirs racontés dans Hérons dans ma mémoire, qui nous paralyse d’une langueur froide, les pieds dans la vase à contempler la nature, les hérons en particulier… un passé regretté qui ne reviendra jamais.
Alors nous restons assis, brin d’herbe aux lèvres, et nous regardons passer les eaux du fleuve, attendant la nuit…
Au fleuve de Loire est paru le 3 mai 2021 chez Antiq Records.