C’est probablement la dernière fois que je vous fais un parallèle entre cette saison qu’est l’automne et la formation Opeth. Après avoir été repoussé en cette fin du mois de novembre, nous ne pouvons qu’être plus enthousiasmé par la corrélation entre cette saison qui permet aux arbres de perdre leurs feuilles et une musique qui associe le repos de la nature, la mélancolie et pour cet album, un retour du feulement death métallique de Mikael Akerfeldt. Les deux premiers extraits ont permis aux amateurs de retrouver le Opeth ravageur mais qui demeure métalliquement progressif. Mais qu’en est-il du reste de cet album qui risque de meubler tes écoutes automnales?

Tout d’abord, il faut comprendre que The Last Will and Testament se veut un album concept. Lorsque tu vois que chaque titre se veut un nombre précédé par le signe §, il ne faut pas dire « double S » ou « S superposés » mais plutôt « paragraphe » comme lorsqu’il y a lecture d’un testament, après le décès d’un être cher. Il n’y a que le dernier morceau de l’album qui porte un titre complet en la présence de A Story Never Told car le reste de l’album est constitué du « Paragraphe 1 » au « Paragraphe 7 » Comme de raison, l’album est présenté en ordre chronologique, ce qui nous permet d’assister à la lecture de ce testament, entouré des membres de la famille.

Akerfeldt explique qu’il s’est intéressé au fait que les membres d’une famille puissent se retourner les uns contre les autres quand vient le temps, justement, de se partager les biens du défunt à la lecture des dernières volontés. Tout le drame qui peut survenir lors de cette période en plus des révélations face aux petits secrets de famille. Un peu comme dans la série Succession et plus près de chez nous, dans la série In Memoriam.

Quand l’argent entre en jeu, certains perdent la tête. Et quand Akerfeldt se remet à grogner, les fans d’Opeth perdent la tête aussi!

Mais ce facteur sonore n’est pas ce qu’il y a de plus important face à ce nouvel album. Ce n’est que la pointe de l’iceberg, bien honnêtement. C’est surtout que la formation suédoise nous propose un album excessivement riche, varié et qui vous permettra de renouer avec le Opeth des années Ghost Reveries et Watershed mais en gardant cette parcelle progressive que le groupe cultive amplement depuis Pale Communion.

Si vous avez apprécié le premier extrait qu’est §1, vous pouvez plonger amplement dans cet album car ce n’est pas un retour aux grognements uniquement sur cette chanson. Effectivement, la voix death métallique est proposée à plusieurs endroits sur l’album. Le fait d’utiliser sa voix claire en plus de celle plus rocailleuse offre à Akerfeldt la possibilité de présenter les personnages de l’histoire en plus d’offrir la trame narrative avec beaucoup plus d’émotion.

De plus, la présence de Joey Tempest de Europe et de Ian Anderson de Jethro Tull permet d’avoir les idées plus claires face aux personnages de l’histoire, surtout sur §2.

Et cette histoire? C’est quoi, diantre? Je vais tenter de vous dresser les grandes lignes narratives de l’album qu’est The Last Will and Testament. Le tout débute avec la lecture du testament du patriarche. Nous sommes après la Première Guerre Mondiale, dans le manoir d’une famille plutôt bien nantie. Les notaires sont présents pour procéder aux dernières volontés du père et la lecture de celles-ci. Avec eux, les deux enfants du père qui sont des jumeaux, en plus de la présence de cette jeune orpheline atteinte de la polio, qui a été élevée par la famille. Le fait qu’elle soit sur place pour la lecture du testament se veut, suspicieuse…

À leur grande stupéfaction, les jumeaux ne se retrouvent aucunement dans les lignes du testament. Rien ne leur revient, pas une maudite cenne! Consternation et déception, les jumeaux apprennent que la jeune orpheline est leur sœur, née de la liaison qu’entrainait leur paternel avec une servante de la famille. Elle se veut donc l’héritière légitime face à la fortune du père. Tout au long de la lecture, les jumeaux apprennent d’autres secrets familiaux, comme le fait qu’ils ne sont pas les fils de cet homme qu’ils ont appelé papa, toute leur vie…

Par contre, je ne vais pas vous divulgâcher le reste!

Histoire plus qu’intéressante et qui se marie à merveille avec une musique excessivement bien ficelée. L’alliage entre le death metal et le progressif, le tout en fusion avec une trame narrative fonctionne allégrement. Comme je le disais un peu plus haut, sur le « Paragraphe 2 » nous retrouvons la voix death métallique d’Akerfeldt et ce, dès le début du morceau. Avec son élan sulfureux en ouverture, le groupe nous plonge en introspection par la suite. La voix d’Ian Anderson fait la narration du testament et celle de Tempest, se fait entendre aussi mais plus en mode lamentation, venant compléter les affirmations du « notaire ».  Un pont musical nous dirige vers une portion très progressive et soyeuse, question de mieux reprendre la complainte de Tempest qui termine les lignes du notaire, nous laissant comprendre que c’est la conscience du défunt qui nous parle.

Les changements structurels dans ce morceau se poursuivent sur §3. Des instruments à cordes du London Session Orchestra accompagnent Opeth sur celle-ci. C’est un esprit de piston sur la basse qui met la table pour la partie chantée, toujours avec les subtilités aux cordes. L’intensité grimpe avec les doubles grosses-caisses, on retombe en mode progressif et la basse ondule amplement sur ce 3e paragraphe. Morceau plus massif et moins métallique, la progression musicale demeure son élément principal, le tout en accord avec une symphonie présente mais en douceur, laissant un Akerfeldt qui alterne au niveau émotion avec sa voix claire.

La basse est celle qui nous pompe l’oreille sur §4. Opeth reprend le metal morbide sur celle-ci, tout en demeurant progressif, les guitares pincées avec distorsion nous amènent vers une guitare acoustique accompagnée par une harpe pour ensuite retomber en douceur avec une batterie bien cadencée. C’est à ce moment que l’amateur de progressif retient son souffle car le souffle d’Ian Anderson se fait entendre sur sa flûte. Celle-ci nous amène vers la première véritable portion épique de l’album où un lead de guitare puissant nous permet d’attraper au passage la voix sulfureuse d’Akerfeldt. Les prochaines lignes se veulent progressives, les musiciens sont en accord avec cette finale qui se fond avec §5, un paragraphe aux impulsions progressives.

Paragraphe jazzé en ouverture, c’est chaleureux et une guitare acoustique plus flamenco est audible dans le fond, suivie par des claquements de mains. Après cette partie plus fiévreuse, Opeth reprend en mode death métallique pour ensuite palper la progression. Une fois de plus, les instruments à cordes s’invitent pour créer un pont musical solide qui offrira une nouvelle parcelle métallique. Variances, sans jamais nous perdre, Opeth déborde d’idées et ce n’est pas encore terminé!

L’introduction du Paragraphe 6 est musclée aux percussions, nous prouvant que le nouveau batteur, Waltteri Väyrynen, est une véritable bête sur son kit. Effectivement, sur celle-ci, il peut y aller dans tous les styles qu’il maitrise et il remplit §6 avec tous les fills imaginables, faisant de ce morceau le plus impressionnant pour les amateurs de percussions. Sur §7,Opeth est plus saccadé, rondouillard et, comme de raison, encore progressif. Grognement toujours audible, on sent l’implosion imminente mais les Suédois gardent toujours un brin de suspense. C’est vers une partie plus progressive et une nuée vocale que nous nous retrouvons, suivi d’une balance de basse ondulante sur percussions berçantes, laissant poindre un clavier scintillant pour y aller en mode fade out.

La conclusion de l’histoire, du concept et de l’album se fait sur A Story Never Told. Pièce dépouillée de tout artifice, elle demeure une balade qui aurait pu se retrouver aisément sur Damnation. Piano qui pointille ici et là, la voix d’Akerfeldt est réconfortante sur cette finale, bien accompagnée aux voix d’accompagnement et c’est clément sur les percussions. Les arrangements sont soignés, c’est perspicace dans le dosage et une ligne de guitare grandiloquente vient boucler la boucle face à ce récit conceptuel, progressif et audacieux pour Opeth.                       

The Last Will and Testament est un album étonnant, riche et majestueux. Sans être mon préféré, je peux déjà conclure que ce sera celui que j’aurai le plus écouté car à chaque écoute, je peux encore y déceler un élément sonore nouveau que je n’avais pas entendu précédemment. N’ayant jamais relâché face aux albums d’Opeth, d’avoir cette union parfaite entre le death metal et leur facette progressive saucée dans le Harmonium qui sent le début de l’automne, je ne peux que me réjouir avec cette parution.

Nous avons déjà eu Opeth en concert en octobre 2024. Il est évident que le groupe reprendra les routes en 2025 pour promouvoir cette production massive. J’anticipe déjà une Place Bell ou même un Centre Vidéotron alors que le groupe proposerait cet album dans son entièreté avec, en ouverture, Blood Incantation et Iotunn.        

Et le plus possible, l’automne prochain même si c’est loin, question de garder le concept encore plus plausible, acceptable et incomparable.  

Disponible le 22 novembre sur Reigning Phoenix Music.

www.opeth.com

Photo : Terhi Ylimäinen