Pour bien des gens de mon âge ayant vécu leur enfance dans les années ’80, le menu hebdomadaire se suivait de façon presque militaire. C’était routinier mais réconfortant. La fin de semaine, c’était le seul moment où il y avait une certaine variété mais je me souviens que chez nous, le samedi, il y avait bien souvent des hot-dogs. Cuits à la vapeur, avec une marguerite pour y laisser les pains s’humidifier pas trop longtemps. Et pendant ce temps, les saucisses bouillaient dans une eau saumâtre, juste au fond de la casserole. Lorsque le tout était prêt, c’était le temps d’y aller avec les condiments. Mes goûts personnels font que je devais toujours commencer avec le ketchup avec lequel je badigeonnais tendrement le pain.
Chez nous, c’était du Heinz et rien d’autre. Même en appartement, malgré le budget serré, je me suis toujours payé du Heinz. Toujours, c’est essentiel et primordial. Mon épouse ne comprend pas mon obsession et comme elle le dit si bien: « C’est toi qui va le payer par exemp’! » Mais dans le temps, chez mes parents, parfois, il pouvait manquer de ketchup lors d’un souper hot-dogs. Plus rien dans la bouteille de ketchup. Ma mère ajoutait souvent quelques millilitres d’eau dans le fond de la bouteille, qu’elle agitait pour aller chercher le condiment agglutiné sur les rebords de la bouteille et/ou fond.
Ce processus me levait le cœur, pour être franc. Des frites avec la mayonnaise, ça passait mais pas de ketchup pour les hot-dogs, ceci était un non-sens. Et c’est alors que ma mère me disait ceci : « Tu peux mettre de la sauce chili, c’est la même affaire! Sinon, tu peux aller en emprunter à la voisine! »
Dans les années ’80 et ’90, c’était très populaire et même bien vu d’aller emprunter des trucs aux voisins. De l’œuf à la tasse de sucre, du lait jusqu’au papier de toilette, dans la coopérative des Blocs Salut sur la Côte Réserve, ça se faisait! Mais c’était gênant de le faire. Ça et acheter des tampons à ma mère au dépanneur, même niveau de gêne.
Je me rabattais et j’abdiquais donc, je pilais sur mon orgueil et j’ajoutais quelques gouttes de sauce Chili à mon hot-dog. Trop paresseux pour aller chez la voisine, je croquais dans ce chien-chaud légèrement modifié. Eh non, ce n’était pas la même affaire, aucunement!
Pas pantoute, pas mangeable…
C’est un peu la même chose quand on m’annonce qu’un groupe est de style X et que ce ne l’est pas du tout. Dernièrement, on m’a proposé la formation Amiensus en me disant que c’était du black metal progressif. J’ai téléchargé la copie promotionnelle de leur nouvel album, Reclamation: Part 1.
J’ai accroché sur le coup. Un fichu de bon album mais de mettre l’étiquette black metal sur ce groupe me semble un peu trop démesuré, déraisonnable et fort en réglisse noire. Je veux bien que les responsables des labels puissent monter des dossiers de presse avec des références mais en y allant avec black metal, vous me faites penser à ma mère qui me vend l’illusion de la sauce chili comme étant un substitut adéquat face au ketchup.
Avec Amiensus, on sent qu’il y a des influences qui proviennent du metal noirci. Encore une fois, ce n’est pas parce que la caisse-claire bât à tout rompre, que le chanteur peut atteindre le même niveau acariâtre vocal que Shagrath et que ta guitare se veut abrasive que cela fait de cette formation un groupe black metal. Oui, la parcelle progressive est présente avec les changements musicaux, les arrangements serrés et les virages abrupts de tempo soulignés par une bascule au niveau du chant plus clair. Et par clair, je veux dire très mielleux.
En écoutant cet album, je me disais que les membres d’Amiensus avaient probablement écouté beaucoup plus de metalcore comme Darkest Hour, As I Lay Dying et Unearth tout en carburant aussi sur du Dimmu Borgir, Borknagar et Agalloch. Le mélange se veut habile mais cela donne vraiment plus un post-metalcore noirci ou blackened metalcore?
Mais encore là, c’est à s’obstiner avec les étiquettes…
De mon côté, j’aime vraiment cet album qui se veut excessivement varié. Sur Blink of the Moment, Amiensus se veut rapide et incisif après que nous ayons passé du temps avec une introduction plus balourde qui prend expansion dans une ouverture très Katatonia. La couche de voix offerte est acidulée et le tempo devient beaucoup plus galopant, bercé par une voix claire très caramélisée. L’alternance se poursuit, et c’est efficace en cibole!
La pièce Reverie est bien cadencée, portée par un violon. C’est soyeux et doux comme ce que peut proposer un groupe comme Alcest. Irruption de la voix plus serpentaire, Amiensus contrôle bien la partie acerbe de la chanson et fait de même avec celle plus émotive qui s’immisce aussi, dans cette chanson. Impulsions des percussions, la grosse caisse y va de façon impétueuse à l’unisson avec la voix noircie pour mieux te rediriger vers un chunk de cassonade, plutôt émotif.
Avec la troisième chanson Senses Amplified, je comprends la façon de faire des musiciens et je confirme que le tout me convient, me comble et assouvi mon appétit métallique le plus douceâtre. Cette chanson est plombée de confiseries emmiellées et elle se veut plutôt soyeuse au niveau du palais. Avec sa guitare acoustique, Sun and Moon se veut une agréable virée chez le confiseur pour y acheter des lunes de miel. Même si le tout se pompe un peu plus au niveau de l’élan, le tout demeure onirique, te permettant de flotter sur un nuage de barbe à papa, bien dense.
La pièce Vermillion Fog of War est probablement celle qui propose un véritable fragment continuel de metal noirci, tout au long de son élan métallique. Plus charnue, elle se veut plus linéaire et carabinée. Même le passage à la voix étincelante se veut plus subtil. Finalement, Spoken Into Will reprend les habitudes plus blackened metalcore et Transcendence Through Grief nous termine l’album de manière acoustique, comme pourrait le faire un Opeth.
Il n’y a aucune dimension de danger émanant du black metal dans la musique d’Amiensus, ce ne sont que des moments douillets avec quelques lignes plus vinaigrées. Malgré ce que je peux laisser paraître dans ce texte, j’ai vraiment aimé les nombreuses écoutes face à Reclamation: Part 1. Ce qui me chicotte le plus demeure plutôt le marketing entourant l’album pour tenter de le vendre à un public X et l’utilisation du terme black metal qui, selon moi, demeure galvaudé et peut porter à confusion.
Sinon, aussi bon qu’un p’tit sachet de ketchup Heinz pour y tremper tes frites!
Disponible le 26 avril sur M-Theory Audio.
Photo : Todd Farnham