La Grande Guerre, véritable suicide européen, est incontestablement une thématique de choix pour nombre de groupes de metal, qu’il s’agisse du death de Bolt Thrower, du pagan de Skyforger ou encore du power/heavy de Sabaton. Mais peu de genres ont exploré le conflit avec autant de rage et d’authenticité que le black metal, preuve en est le nombre toujours grandissant de projets traitant du sujet, comme Kanonenfieber, 1914, Prognan, Régiment, FT-17… et bien évidemment Minenwerfer, qui en a fait son cheval de bataille depuis sa fondation en 2007.

Signé à présent chez les Français d’Osmose Productions, le duo de Sacramento nous revient ici avec son quatrième méfait longue durée, dernière production en date d’une discographie déjà bien conséquente.

Le précédent album, le fabuleux et bien nommé Alpenpässe, nous avait fait grimper jusqu’aux cimes acérées des Alpes pour une plongée dans la cruelle et glaciale « Guerra Bianca » (Guerre Blanche), opposant les troupes italiennes aux soldats allemands et austro-hongrois entre 1915 et 1918.

Fantassins canadiens ajustant leur baïonnette avant de monter à l’assaut (1916)


Feuerwalze, lui, n’a également jamais aussi bien porté son nom, car il nous entraine cette fois au cœur de l’enfer de la bataille de la Somme. Lancée le 1er juillet 1916 conjointement par les armées britannique et française, cette offensive massive a pour but de percer les lignes allemandes, situées dans la Vallée de la Somme, et d’ainsi mettre fin à l’impasse de la guerre de position qui s’y déroule depuis 1915. Pendant des mois, les combats font rage et voient entre autres apparaitre les premiers chars d’assaut et s’illustrer avec vaillance les Canadiens, Australiens et Néo-Zélandais, en vain…
La fin de la bataille, le 18 novembre 1916, laisse un goût très amer : les deux camps sont exsangues, le bilan est extrêmement lourd (plus d’un million de victimes, tués, blessés ou disparus), les gains territoriaux sont extrêmement minces et l’issue de la bataille reste de ce fait indécise.
Vous l’aurez compris, l’heure est loin d’être à l’exultation de la victoire…

Le contexte historique étant posé, qu’en est-il à présent sur le plan musical ? Eh bien, pour celles et ceux qui ont découvert le groupe en 2019, le choc risque d’être un peu rude: en effet, si vous vous attendez à un prolongement des récits alpins, vous allez vite vous rendre compte qu’il n’en est rien et qu’il nous faut retourner à l’époque de Nihilistischen, il y a plus d’une décennie maintenant, pour retrouver la férocité de cette Valse de flammes. En effet, plus question ici d’envolées aériennes, ni de guitares planantes ou de longues plages atmosphériques ; rendez-vous dans la fournaise de 1916, dans un torrent de boue, de sang et de barrages d’artillerie…

Minenwerfer Division, édition 2023


Et c’est d’ailleurs au son strident d’un funeste sifflet d’assaut que démarre Cemetery Fields ; tel un malheureux fantassin chargeant la position adverse, nous voilà lâchés d’emblée au beau milieu d’un terrifiant no-man’s-land, où la mort rode au détour de chaque trou d’obus…
Premier constat : la production, brute, puissante et dense, explose au visage et emporte tout sur son passage. Au travers d’un sanglant déferlement de riffs tranchants et de blasts beats écrasants, le black/war metal prodigué ici laisse transparaitre de nombreuses influences death et thrash, pour un résultat des plus jouissifs qui ne laisse (presque) aucun répit à l’auditeur. Et si maigre répit il y a, ce n’est que pour mieux replonger ensuite dans le tumulte des tirs et des déflagrations.
L’ambiance est tout simplement apocalyptique et rend compte très justement du terrible calvaire qu’ont dû endurer des mois durant les belligérants de ce carnage.

Je ne vous le cacherai, cet opus est effectivement plus difficile d’accès que le précédent et c’est peu dire, tant l’atmosphère est par moments suffocante; l’accalmie d’Alpenpässe nous avait presque fait oublier l’approche d’ordinaire beaucoup plus frontale et cinglante des Américains. Mais rassurez-vous, leur excellent savoir-musical est toujours bien présent, de même que leurs mélodies guitaristiques, ces dernières se déclinant toutefois plus brutalement qu’il y a 4 ans, par le biais de solos tous plus virtuoses et entêtants les uns que les autres (Feuerwalze, Nachtschreck, Shrapnel Exsanguination…).
Quant aux hurlements d’outre-tombe du Generalfeldmarschall Kriegshammer, haineux et acides à souhait, ils se font douloureusement l’écho de la détresse de ces milliers hommes, fauchés impitoyablement en terre picarde.

Et enfin, que serait un album de Minenwerfer digne de ce nom sans une judicieuse dose de samples à dimension historiques ? De fait, tout comme sur leurs autres productions, l’immersion est de mise et de nombreux bruitages peuvent ainsi se faire entendre tout au long de l’album, jusque aux ultimes secondes de la dernière piste (Labyrinthine Trench Sectors), sonnant l’hallali des derniers survivants de ce déluge de feu et d’acier.


Avec Feuerwalze, Minenwerfer enfonce le clou et vient résolument s’imposer comme l’un des fers de lance du black metal actuel, avec un album furieux et bestial d’une intensité rarement atteinte. Je pense d’ailleurs qu’il me faut remonter jusqu’au classique Panzer Division Marduk pour retrouver une telle sensation d’écoute, c’est vous dire!
Je préfère donc me répéter : n’attendez en aucun cas un Alpenpässe 2.0, mais ne vous laissez pas rebuter pour autant et donnez sa chance à cette nouvelle offrande ; le rendu est sombre, violent et tourmenté, mais ô combien addictif également

Pour ma part, l’essai est plus que transformé et ce nouveau brûlot va rejoindre sous peu les étagères de ma CDthèque, pour trôner fièrement aux côtés de ses illustres prédécesseurs !

Note: 9/10

Tracklist :
1. Cemetery Fields
2. Feuerwalze
3. Eternal Attrition
4. Nachtschreck
5. Sturmtruppen III (Sommekämpfer)
6. Shrapnel Exsanguination
7. Labyrinthine Trench Sectors